EMI 6e: des méthodologies en construction à partir du quoi de neuf

quoi-de-neuf-docteurComme j’en parlais dans mon dernier post, j’essaie de construire mon cours à partir de nouvelles, objets ou actualités présentées par les élèves. Mes objectifs sont pour l’instant assez simples:

  • Construire ou renforcer les techniques de présentation à l’oral,
  • Se doter de méthodologies ou conseils:
    • pour présenter et analyser une actualité,
    • un objet,
    • une nouvelle
  • Acquérir de premiers réflexes concernant la recherche documentaire
  • Développer les habitudes de travail individuelles et en groupe classe (responsabilités, rituels, questionnement / curiosité, rationalité etc.vis à vis du quotidien et en particulier des nouvelles technologies)

L’idée est d’accueillir ce qui a priori n’a pas sa place habituellement à l’école, pour construire des habitudes de questionnement et à minima de méthodologies de recherche pour répondre aux questions que les élèves peuvent se poser.

La difficulté de repérer ce qui intéresse, ET qui fait sens

Les premiers écueils apparaissent bien vite dans ce type d’exercice. Si toute présentation permet au moins de travailler l’aisance, la diction, la clareté etc., le plus difficile reste de saisir les points qui retiennent l’attention de l’élève qui présente ainsi que de la classe, tout en essayant au maximum de ne pas s’enfermer dans questionnements stériles et sans intérêt.

Plusieurs pistes peuvent donc poser problèmes:

  • Des pistes qui ne mènent à rien de transcendant, qui ne permettent pas de s’élever beaucoup plus qu’avant la recherche ou le questionnement. On reste au degré premier de rapport à l’événement, et on en voit pas de complexification possible.
  • Des pistes non réellement préparées, ou tellement imprécises et empruntes d’inexactitudes voire de mysticisme (j’y reviendrai, nous avons un gros point légende urbaines avec une classe), que nous ne pouvons à peine questionner l’événement.
  • Des pistes parasitaires pour plusieurs raisons:
    • Elles sont trop compliquées pour l’élève, ou pour moi
    • Elles sortent beaucoup trop du cadre qui nous rassemble (pour ça, n’ayant pas de programme, je reste assez protégé sur ce point)
Cadeau

Cadeau

Lamine, qui est assez discret, choisi par exemple de présenter un objet: son blanco. Il semble avoir fait un effort pour passer, mais la charge affective placée dans l’objet, ainsi que le contenu de ce qu’il présente semblent assez faibles. Je le laisse évidemment présenter, il ne s’agit pas de brider dès le départ. Mais que faire??
Les questions ne sont pas très nombreuses, mais le rituel s’est rapidement installé (j’y joue un petit rôle aussi bien sûr, en posant certaines questions bien précises, et qui vont être souvent reprises par les élèves par la suite. C’est alors que nous les fixons pour construire les méthodologies collectives qui trouveront une place dans le cahier):

  • « Peux-tu donner plus de précisions? »
  • « Pourquoi as-tu choisi ça? »
  • « À quoi ça te sert? »
  • « En quoi c’est fait? »
  • « Depuis quand l’as-tu? »

Nous avons ici déjà les premiers éléments qui pourront être posés pour présenter les futurs objets:

  • Description précise
  • Matière, procédés de fabrication
  • Utilité(s) et fréquence d’utilisation
  • Justification du choix et pertinence
  • Où l’as-tu eu et comment? (acheté, trouvé, selon les objets)
  • Pour d’autres classes, nous avions aussi des pistes concernant d’autres utilisations possibles, mais je n’ai pas su l’exploiter au-delà de la simple discussion.

 

L’attention se fixe finalement sur les symboles prévenant de la toxicité du produit. « Qu’est-ce que ça veut dire? ». « Pourquoi c’est le cas? ». Un élève propose une anecdote sur son petit frère qui a avalé je ne sais quoi et qui est tombé malade, et nous rejoignons les questions posées sur la matière et les procédés de fabrication. Nous validons cette piste comme prolongement possible pour Lamine, mais tout ça semble encore un peu forcé et artificiel. Ça n’est que sa première présentation, il ne faut pas vouloir aller trop vite non plus, c’est toujours un coup d’essai.
L’objet est pris en photo pour figurer sur le panneau qui sera réalisé pour son objet.

Et parfois c’est tellement évident que ça roule tout seul

kurdistanDilara nous parle ensuite de la révolte à Kobane. Il va rapidement s’avérer que la situation parfaite est en train de se construire: il y a une charge affective forte, Dilara est Kurde; la classe est intéressée; et sa meilleure amie est Turque.

L’élève connaît très bien le sujet pour une enfant de 6e, et visiblement la famille évoque le sujet à la maison. Nous avons beaucoup de précisions sur l’événement, sur le conflit qui oppose les Kurdes et les Turcs (c’est en réalité le véritable sujet de son intervention), et plusieurs interrogations simples et importantes à la compréhension du sujet se posent:

  • « Où ça se passe? » (nous regardons sur une carte)
  • « Pourquoi le Kurdistan n’est pas sur cette carte? »
  • « Qu’est-ce que ça veut dire « djihadiste »? »
  • « Pourquoi y a t-il un conflit entre les Kurdes et les Turques? » (la piste doit être explorée par son amie)
  • « Où trouve t-on des Kurdes? »
  • « Est-ce qu’ils sont tous pour l’indépendance? »
  • « Quel est le point de vue des Turques? »
  • « Comment tu sais tout ça? »

À ce moment, tout le monde semble concerné, pose des questions lorsqu’ils s’en sentent capables; Dilara distribue la parole, joue à la conférencière; le responsable de la pochette aux questions note les nouvelles pistes pour que chacun puisse s’inscrire en fin d’heure…
C’est plaisant, même s’il reste encore du boulot pour ancrer tout ça, y voir plus clair, et naviguer un peu moins à vue.

Ces pistes vont toutes être empruntées. Elles révéleront la complexité de l’événement, et permettront de prendre du recul sur la charge affective qu’il peut y avoir chez certains élèves, tout en permettant aux autres de s’y situer.

Suite à cela, nous avons construit notre méthodologie d’analyse d’une actualité:

  • De quoi s’agit-il?
  • Quand est-ce que ça s’est passé?
  • Qui cela concerne t-il?
  • Pourquoi cela s’est-il passé (le contexte, ce qu’il y avait avant)
  • Et après? (Qu’est-ce que ça change? Quelles sont les conséquence?)
  • De où viennent les informations (c’est là que je fais le prof doc et parle des sources et des moyens de citer les différents types de documents)

 

Ce sont pour la majorité leurs questions, que nous avons simplement reformulées pour qu’elles puissent être réinvesties par la suite pour de meilleures présentations.

Ça ne roule pas toujours de cette façon, et j’ai souvent l’impression d’être un peu dans le flou, de ne pas maîtriser ce que les élèves apprennent. De plus ça paraît être un processus long, et je dois faire des efforts pour me déculpabiliser de prendre autant de temps au détriment de quelque chose de plus cadré et d’orienté.
Mais avec un peu de recul, je crois qu’on est « dans les clous », et à la vue de certaines nouvelles nous plongeant dans les mythologies urbaines et le surnaturel, nous ne nous en tiendront certainement pas qu’à des questions méthodologiques.

Le tout sera de réussir à rattacher tout ça aux savoirs plus construits, en dénaturant le moins possible l’objet de l’expression à l’origine de ces démarches.

Quoi qu’il en soit, depuis qu’on a commencé ce travail, j’ai régulièrement des élèves qui viennent me demander des conseils pour trouver une réponse à leur recherche, et je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse systématiquement de dévotion scolaire.

Un indice qui montre que nous sommes sur la bonne voie? Je l’espère!