« C’est un fainéant! Il n’est pas motivé! Il ne fait pas d’efforts! » C’est ce qu’on entend (et croit!) bien souvent quand on est enseignant. Ce texte de Alain Guerrien et Annie Mansy-Dannay vient reposer une question fondamentale de l’éducation: comment devient-on motivé? Ici, nul doute que la technique de la carotte et du bâton ne constitue plus une alternative convaincante depuis des lustres! Mathieu |
La motivation de l’enfant pour les activités scolaires peut être qualifiée, selon la classification instaurée par Deci (1975), d’intrinsèque si ces activités sont accompagnées d’un sentiment de compétence et d’autodétermination, et qu’elles procurent en elles- mêmes intérêt et satisfaction, ou d’extrinsèque si la situation est perçue comme « contrôlante » et que les activités ne sont pas développées pour elles-mêmes mais par pression sociale ou pour en retirer quelque chose qui leur est extérieur (récompense etc…).
L’intérêt de cette classification dans le domaine scolaire a été largement étayé par de nombreuses recherches mettant en relation l’orientation motivationnelle de l’élève et différents paramètres tels que les comportements en classe et la réussite scolaire, et montrant l’effet bénéfique de la motivation intrinsèque.
La motivation intrinsèque vis-à-vis des activités scolaires est ainsi corrélée positivement avec l’intérêt envers l’école, le temps passé dans les activités, les perceptions de compétence, les émotions positives en classe, et négativement avec la distraction en classe. Elle constitue un bon prédicteur de la réussite scolaire et de la persévérance dans les études. Elle est associée à davantage de créativité et à des stratégies d’apprentissage basées sur la compréhension plutôt que sur des traitements plus superficiels (apprentissage « par cœur » caractéristique d’une motivation extrinsèque).
Nos propres travaux portent sur les liens entre l’orientation motivationnelle, intrinsèque ou extrinsèque, et l’attention de l’enfant en classe. Cette question peut être appréhendée de diverses manières : sous l’angle chronopsychologique, il apparaît que la motivation constitue un facteur de stabilité attentionnelle. Les rythmes biologiques d’activation nerveuse et les fluctuations de la vigilance se manifestent préférentiellement dans des situations jugées ennuyeuses et monotones, alors que la motivation intrinsèque contribue à réguler la vigilance.
Les situations de motivation intrinsèque et extrinsèque ne sont pas équivalentes du point de vue de l’utilisation des ressources attentionnelles. L’élève présentant une motivation extrinsèque pour une activité donnée partage son attention entre la réalisation de la tâche proprement dite et le traitement d’informations qui lui sont extérieures (par exemple, estimation de la probabilité d’obtenir la récompense, réflexion sur ce qui arrivera en cas d’échec, attention portée au regard des autres etc…). En revanche, ces traitements collatéraux sont minimisés en situation de motivation intrinsèque: l’attention de l’enfant est alors davantage focalisée sur l’activité elle-même.
Le risque de distraction est moindre dans le cas d’une motivation intrinsèque associée à un réel intérêt pour l’activité en cours. Il est majeur si l’activité est réalisée non par intérêt mais simplement pour répondre à une sollicitation extérieure : l’attention risque alors plus fortement de se réorienter vers des sources d’informations exogènes (événements dans l’environnement) ou endogènes (préoccupations, rêveries…).
Les deux points précédents suggèrent que la motivation extrinsèque est associée à un effort attentionnel accru (plus d’informations à traiter, nécessité de résister à la tentation de la distraction). De fait, nos recherches les plus récentes montrent que les situations de motivation extrinsèque sont davantage génératrices de fatigue que les situations de motivation intrinsèque.
Selon les théories modernes de la motivation, trois besoins fondamentaux constituent les fondements de la motivation intrinsèque: le besoin de compétence, le besoin d’autodétermination, et le besoin d’appartenance sociale. Ce dernier correspond à une nécessité d’entretenir avec autrui des relations sociales satisfaisantes et enrichissantes. La coopération entre élèves, l’abandon d’un système de compétition, les moyens dits « relationnels » mis en œuvre par les « pédagogies actives » constituent autant d’éléments favorables à la satisfaction de ce besoin d’appartenance sociale.
Le besoin d’autodétermination (c’est à dire d’un sentiment d’être à l’origine de nos propres comportements) est quant à lui respecté par la place importante accordée à la créativité, à l’expression libre ou à la recherche libre, ou plus généralement par une pédagogie qui offre à l’enfant de multiples possibilités de faire des choix.
Enfin, le besoin de compétence correspond à une nécessité de développer des comportements offrant une satisfaction liée à la réussite et à un sentiment de progrès. Les activités présentant un « décalage optimal » entre la difficulté de la tâche et le niveau de compétence de l’élève sont de ce point de vue favorables à l’émergence d’une motivation intrinsèque. L’utilisation des fichiers autocorrectifs, les progressions individualisées, la connaissance du but de la tâche et des critères de réussite vont assurément dans le sens de ce besoin de compétence.
Dans cette perspective, le Tâtonnement Expérimental paraît constituer une pratique pédagogique largement favorable à la motivation intrinsèque, et donc à un réel investissement cognitif de la part de l’élève. L’acte de créativité que constitue l’émission d’hypothèses, la possibilité d’un cheminement personnel dans le tâtonnement, ou encore la coopération qui s’engage dans un tâtonnement collectif s’inscrivent dans le cadre des besoins d’autodétermination et d’appartenance sociale cités plus haut. De même, l’enfant engagé dans le processus de tâtonnement expérimental est acteur dans le progrès de ses compétences. Si l’émission d’une hypothèse constitue un temps fort par l’activité de raisonnement qu’elle implique, sa mise à l’épreuve et l’évaluation de sa pertinence sont également une étape particulièrement féconde, qui accorde une place majeure à l’erreur comme source de progrès, et par-là même contribue à développer chez l’enfant une attitude critique bénéfique tant sur le plan motivationnel que vis à vis de l’évolution de ses compétences.
Alain Guerrien* et Annie Mansy-Dannay** (*Université de Lille3 – **Université de
Lille2)
Conférence de Alain Guerrien au 50e Congrès de l’ICEM en 2011: http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/20199