Mise au point sur la « Méthode naturelle »

methode_naturelle Le terme n’est pas forcément très connu, et encore moins compris. Nicolas Go (ICEM) nous éclaire dans ce texte sur une notion cadre de la pédagogie Freinet.

Mathieu

Mise au point sur la Méthode naturelle pour le débat pour la fédération de stages, l’AG d’orientation et le congrès 2009.

1. L’expression Méthode naturelle:

La meilleure manière de la traduire serait: Démarche complexe d’apprentissages. Parfaitement conscient de son imperfection et de ses ambiguïtés, je milite pour l’appellation de Méthode naturelle, pour les raisons suivantes:

– Elle constitue en pédagogie Freinet une sorte d’AOC: elle renvoie à une identité propre, impossible à confondre avec d’autres pratiques (pédagogie active, didactique contemporaine, approche clinique des apprentissages, etc.).

– Ce n’est pas qu’une appellation c’est aussi une référence, une exigence pour la pratique: en se demandant (avec d’autres) ce que c’est que la MN, en essayant de la pratiquer (avec d’autres), on progresse dans des voies où l’on n’oserait probablement pas s’aventurer, tellement c’est déroutant.

– Elle renvoie à des savoir-faire pédagogiques et éducatifs très élaborés, suite à des décennies de travail créatif des anciens (Freinet, Élise et les compagnons); ces savoir-faire sont encore très ignorés, y compris au sein de l’ICEM. Abandonner l’appellation, c’est risquer de les perdre avec. Changer l’appellation, c’est favoriser les mutilations, les affadissements.

– Cette dénomination n’est pas scientifique mais imagée, comme beaucoup d’expressions de Freinet (le tâtonnement expérimental, la vie, etc.), elle s’adresse à la sensibilité et au bon sens plus qu’à la raison intellectuelle. C’est un oxymore : « Figure qui consiste à allier deux mots de sens incompatibles pour leur donner plus de force expressive » (Robert).

– Conserver l’appellation, ce n’est pas la figer, c’est au contraire prendre soin de son caractère créatif et subversif.

2. Le sens de cette désignation:

Pour Freinet, la Méthode naturelle s’oppose à la scolastique, qui rassemble les « méthodes pédagogiques contemporaines » reposant sur « les éléments d’une fausse science ».

En voici le principal postulat :

« il faut connaître les lois du langage et de l’écriture avant de prétendre parler et écrire. Ce sont, aux dires de la scolastique, des mécanismes qui se montent comme les pièces d’un réveil ».

Il leur oppose l’apprentissage par tâtonnement expérimental, organisé par la MN :

« Aucune, absolument aucune des grandes acquisitions vitales ne se fait par les procédés apparemment scientifiques. C’est en marchant que l’enfant apprend à marcher ; c’est en parlant qu’il apprend à parler ; c’est en dessinant qu’il apprend à dessiner. Nous ne croyons pas qu’il soit exagéré de penser qu’un processus si général et si universel doive être exactement valable pour tous les enseignements, les scolaires y compris. Et c’est forts de cette certitude que nous avons réalisé nos méthodes naturelles dont les scientistes essaient de contester la valeur ».

La notion de « naturelle »:

Elle ne s’oppose pas à « culturelle » mais à « artificielle ». Pourquoi ce mot de naturelle ? Certes, Freinet était très imprégné du monde rural, celui des paysans qui travaillaient la nature (les bêtes, les champs, l’eau…). Mais la vraie raison est la suivante : le processus de tâtonnement, sur lequel il fait reposer toutes ses recherches, est présenté comme universel. Il rassemble aussi bien la manière dont l’eau de pluie se fraie un chemin pour s’écouler au sol, que celle dont les bêtes choisissent la meilleure nourriture, dont les enfants apprennent, dont les mères éduquent, dont les scientifiques font des recherches et des découvertes… C’est dit « naturel » non pas simplement parce que ça a lieu dans la nature, ou selon la nature, mais parce que ça se fait ainsi partout et tout le temps (sauf scolastique, scientisme, mécanisme, exploitation).

Ce qu’il faut entendre par naturel, en réalité, c’est complexe. La méthode naturelle, c’est la méthode de la complexité.

La notion de « méthode »:

Au temps de Freinet, on parlait de « méthodes traditionnelles » et de « nouvelles méthodes ». Il a voulu prendre le contre-pied de tous ces discours, pour s’en distinguer, et il a choisi « méthode naturelle », non pas pour insister sur « méthode » (c’était juste le terme en vogue), mais sur « naturelle » (par opposition à scolastique, donc).

Curieusement, il n’y a qu’en pédagogie que cette question fait problème. Lorsqu’on parle dans les milieux de la recherche, de « méthode expérimentale », de « méthode scientifique », on entend toujours des méthodologies très différentes, adaptées à leurs objets, chaque fois redéfinies dans les projets de recherches.

De plus, il ne faut pas réduire cette notion à l’une de ses définitions: programme réglé, ensemble de moyens déterminés et organisés dans le temps pour obtenir un résultat attendu. Edgar Morin, par exemple, penseur de la complexité, a intitulé son œuvre majeure La méthode. Voici comment il la définit, dans un autre ouvrage intitulé Éduquer pour l’ère planétaire. La pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaines:

« La méthode ne précède pas l’expérience mais émerge pendant celle-ci et se manifeste à la fin […]. La méthode/chemin/essai/traversée/recherche et stratégie ne saurait se réduire à un programme, pas plus qu’au constat d’un vécu individuel. Seule une vision déficiente et irréfléchie peut réduire la dimension multiple de la méthode à une activité programmatique et à une technique de production de la connaissance. L’élucidation des circonstances, la compréhension de la complexité humaine du devenir du monde exigent une pensée qui transcende l’ordre des savoirs constitués et la trivialité du discours académique. […] La méthode est également un exercice de résistance spirituelle organisée ».

Ainsi, il distingue deux sens du terme méthode : méthode (analytique) comme programme, et méthode (complexe) comme chemin dans l’incertitude. Et pour résumer il cite le poète Antonio Machado: « Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ».

Ce qu’il faut entendre par méthode, en réalité, c’est processus. La méthode naturelle, c’est les processus complexes d’apprentissages.

Les techniques Freinet:

Freinet était conscient des ambiguïtés de l’expression, c’est pourquoi il préférait parler de techniques Freinet plutôt que de méthode Freinet. Mais ceci implique deux remarques:

– D’abord, Méthode naturelle et méthode Freinet, ce n’est pas la même chose. Laissons la seconde, et militons pour la première.

– Ensuite, la Méthode naturelle (démarche d’apprentissages complexes) englobe les techniques Freinet (texte libre, correspondance, conférences, réunion coopérative, etc.), qui entrent à son service. La distinction est très importante. Trop souvent à l’ICEM, on a réduit la pédagogie Freinet aux techniques Freinet, négligeant cette extraordinaire invention de la Méthode naturelle.

C’est cette aventure que j’aimerais que nous partagions tous à nouveau, en un projet collectif et coopératif de grande envergure. Remettons l’École Moderne sur la voie enthousiasmante et créatrice de cette grande aventure coopérative: celle des méthodes naturelles. C’est, dans sa forme pratique pédagogique, un acte de haute résistance. N’ayons pas peur des mots : notre démonstration sera souveraine parce qu’elle sera pratique.

Nicolas Go, Laboratoire de recherche coopérative (LRC-ICEM)
Docteur en philosophie (Paris X) et en sciences de
l’éducation (Montpellier III), diplômé de Langues Orientales (INALCO
Paris), mis à disposition de l’Institut Coopératif de l’École Moderne
(Pédagogie Freinet) pour la recherche, chargé d’enseignement à
l’Université de Provence.

Source: http://projetcelestin.blog4ever.com