Chacun s’est demandé à un moment de sa scolarité pourquoi nous apprenions telle ou telle chose. Certaines leçons, voire même certaines discipline, ont pu nous paraître complètement déconnectées, inintéressantes, ou trop étrangères. Pourtant, la première chose qui nous vient à l’esprit en voyant un élève qui s’ennuie en tant que profs, c’est que l’on ne peut de toute façon être porté par tous les sujets et qu’il faut y mettre du sien.
Dans cette optique, de nombreuses pistes ont été explorées pour « gérer » l’ennui qui se profile parfois dans le regard de nos élèves, mais elles nous détournent malheureusement bien souvent du problème qui se pose au fond: la raison pour laquelle nous travaillons.
Travailler pour obtenir…
L’incitation, l’injonction
L’incitation et l’injonction peuvent prendre plusieurs formes plus ou moins agressives qui vont de l’encouragement bienveillant au rappel d’une obligation de travail. Dans les deux cas, on attend que l’autorité du professeur permettra par l’affect ou la peur, de relancer les efforts de l’enfant. On pourra dans cet esprit ajouter que c’est pour son propre bien que l’élève doit travailler, qu’il pourra trouver un bon métier, ou qu’il comprendra par la suite l’intérêt de telle ou telle tâche.
La sanction, la récompense
La sanction et la récompense sont bien connues, et viennent souvent soit au cours de l’apprentissage (points bonus, néo bons points),ou à la fin de l’apprentissage pour permettre un retour sur celui-ci (la note de l’évaluation sommative), soit servent à rappeler le cadre de l’institution (il faut travailler à l’école, c’est la règle).
On retrouvera également régulièrement des injonctions valorisant le goût de l’effort et le mérite comme des valeurs morales importantes à la construction de l’individu.
Retravailler mais autrement
Remédier
Une autre proposition consiste à prendre l’élève dans un autre contexte pour lui réexpliquer, plus ou moins de la même façon (selon les styles), en proposant davantage d’exercices d’application dans l’espoir d’une meilleure compréhension par l’enfant de ce qui pose problème.
C’est peut être là que se placent également les entrées par le jeu, ou par l’informatique (logiciels d’exercices type Adibou mais présentés comme étant institutionnels et donc plus sérieux).
Expliciter les apprentissages
C’est avec l’individualisation, très prisée notamment dans les établissements d’éducation prioritaire, l’une des pistes empruntées actuellement. Il s’agit de partir du principe que le principal obstacle à l’entrée dans les apprentissages pour les élèves se situe au niveau de la compréhension des consignes.
Cet optique peut amener à entamer un chantier sur les codes de prise de notes et une uniformisation des consignes relatives aux apprentissages. Ainsi, si l’on retrouve des invariants dans la mise en avant dans le cahier de ce qu’il faut apprendre par cœur ou ce qu’il faut savoir reformuler, l’élève comprendra davantage les attendus lors d’une évaluation sommative.
Mais travailler pour quoi au final?
Si toutes ces techniques ne sont pas à rejeter en bloc selon les situations, il me semble que tout cela révèle nos très grandes difficultés à nous détacher d’un certain modèle encore dominant dans le secondaire: l’approche magistrale (exposition – application (tâche) – structuration).
[La tâche] est réalisée « pour des raisons instrumentales » (Pelletier & Vallerand, 1993), pour obtenir une conséquence qui est en dehors de l’activité même.
Ces méthodes à priori différentes relèvent en effet d’un même mécanisme: trouver hors de la tâche un levier qui permettrait d’y réinvestir l’élève. Elles relèvent de motivations de type extrinsèque. Nous les utilisons tous à un moment ou un autre, mais il me parait intéressant de prendre ces « techniques » pour ce qu’elles sont: un pis-aller, ou au mieux un déclencheur face à des élèves encore trop conditionnés par le système sanction-récompense et donc insécurisés par trop de liberté.
Faire entrer la vie dans l’école, comme le suggérait Freinet, pose un enjeu important: tenter de développer un rapport aux apprentissage qui permette de donner envie de comprendre, d’aller plus loin, de changer le contact avec la nouveauté, et non plus de viser une reconnaissance en tant qu’élève et une accumulation de savoirs reconnus par d’autres. C’est enfin un pari pour demain: faire le maximum pour que l’enfant, puis l’adulte, se tourneront vers les savoirs et les apprentissages pour régler leurs futurs problèmes.
Mais si l’on souhaitait absolument voir les choses d’un point de vue strictement scolaire et non plus politique, on se rendrait également compte que la motivation intrinsèque favorise l’attention, la persistance dans la tâche, et la mémorisation. À l’inverse, une motivation intrinsèque à la tâche peut être amoindrie si l’on y intègre de la contrainte ou de la récompense (la contrainte tue l’intérêt).
Le bon, la brute, et le truand
Mais attention! Pas la peine de montrer du doigt ou de se sentir visé: lorsque nous parlons de motivation autodéterminée, nous nous situons sur un continuum d’autodétermination:
Il n’est donc pas question de poser les choses en termes dychotomiques, mais plutôt en terme de mouvement.
Il s’agit de « tendre vers ».
Les trois besoins fondamentaux des individus favorisant une motivation intrinsèque à la tâche se révèlent être d’excellents outils pour analyser nos propres pratiques et les conditions que nous mettons en place pour faire émerger la motivation. Dans cette optique, celle-ci n’est plus ni un préalable, ni un trait de caractère.
Le besoin d’autodétermination
Vouloir faire entrer la vie dans l’école, c’est donc tenter de donner du sens aux apprentissages pour eux-mêmes. Non pour avoir un diplôme, un bon métier, une reconnaissance des autorités (famille, enseignants), mais parce que ces apprentissages viennent résoudre des problèmes que l’enfant se pose.
Le besoin d’autodétermination correspond à la nécessité d’entrer dans une tâche pour elle-même (par exemple le plaisir qu’elle procure), sans attendre de récompense extrinsèque à cette activité, ou pour éviter un sentiment de culpabilité.
Partir de la vie des enfants, devrait donc dans cette optique favoriser la satisfaction de ce besoin, et réinscrire les savoirs comme des outils permettant d’interagir avec son environnement direct.
Un jeu de cache-cache
Ceci dit, le principal obstacle se situe donc dans notre façon d’appréhender le monde. Nous avons désappris en tant qu’individus, et surtout en tant qu’enseignants, à utiliser nos savoir pour augmenter notre capacité à agir sur le monde. En tant que passionné-e-s de nos disciplines respectives, nous sommes peut-être même les pires. Reconnecter les contenus à la vie relève donc d’un lourd travail sur ses propres motivations à enseigner, et sur notre rapport à l’abstraction.
Mais lorsque cela est embrayé, un deuxième obstacle se pose à nous: résister à la tentation de l’illustration déconnectée d’une notion sur une caricature du modèle du calcul vivant (« ah ouais t’as pris un bain? Et si ta sœur utilisait les 3/4 de l’eau en ajoutant 3l ça fait combien? »), plutôt que de laisser les problématiques se construire par les enfants, et le désir d’aller plus loin émerger.
Les programmes font pression sur cette capacité à attendre que les problématiques arrivent, et que les enfants construisent leurs postures de chercheurs qui les mèneront pourtant bien souvent à souhaiter explorer ce qu’il se trouve dans les programmes.
Si l’on souhaite s’engager dans cette voie, un lourd travail s’impose à nous. Mais lorsque l’on a entre-ouvert cette porte, on espère ne plus jamais avoir à la refermer, car c’est notre propre vision de l’école et de la vie qui est en train de changer.