Cours: Éducation aux médias et à l’information
Niveau: 6e (demi-groupe)
L’imprévu, ce « problème » qui peut tout faire basculer (en bien)
Après une période concernant la découverte de la classification utilisée pour les romans (les documentaires seront prochainement abordés), de nombreuses « digressions » ont souvent eu lieu à partir de « rien », et elles se multipliaient avec certains groupes. Une impression de ne pas avancer dans le cours et tout à la fois de ne pas profiter de cette curiosité des élèves s’est développée chez moi.
Exemple 1: je prends un livre pour montrer où se situe la cote et évidemment, c’est le sujet du livre qui les attire.
Exemple 2: j’explique que nous allons prochainement parler des documentaires, rappelle l’opposition fictions / documentaires etc., et un élève intervient pour dire qu’il en a vu un à la télé sur ébola, que ça fait peur et tout et tout. Immédiatement le groupe se saisit de cette disgression: « de où ça vient? » « Y a t-il ébola en France? » « Quels sont les symptomes? » etc.
Si ça a ruiné mon cours bien préparé à la maison, ça a eu le mérite de me mettre la puce à l’oreille et de me forcer à trouver une solution pour accueillir ces questionnements qui, il faut se le dire, ne sont pas si éloignés de que nous sommes « censés » aborder en EMI. Les documentaires reviendront sur le tapis bien assez tôt…
Bon, allons-y. J’ai commencé à écrire ces questions dans un coin du tableau, et pour la fois d’après, j’ai garanti que celles et ceux qui souhaitaient présenter un petit quelque chose à la classe sur ces sujets auront un temps réservé en début de cours.
De plus, j’ai demandé aux élèves de ramener soit une nouvelle (un événement de la vie), soit une actualité, un objet, ou alors de traiter l’une des questions qui ont pu être tirées de « discussions » précédentes.
Séance suivante, ça marche pas mal, de nouvelles questions en ressortent, et je sens un groupe qui se renforce, qui réfléchit, mais il manque encore quelque chose pour casser ce qu’il se met du coup en place: le ping pong entre mes prises de paroles et celles des enfants. Je reste beaucoup trop présent à mon goût: je sors les questions du cours précédent, je rappelle qui doit passer, je gère les prises de parole… Je bouffe leur oxygène en quelque sorte.
Si on parlait réseaux, nous serions là dans un modèle centralisé. Ce schéma permet une circulation rapide de l’information, mais en terme de participation et de reconnaissance de chaque constituant, on est à l’opposé de ce qui permet au groupe de se consolider. Bavelas et Leavitt ont montré que dans ce cadre, « la satisfaction de chaque membre est inversement proportionnelle au degré de centralisation ». Enfin, d’un point de vue motivationnel, les conditions ne sont pas très bonnes (voir Motivation autodéterminée).
Ça sonne un peu faux donc, et je me fatigue davantage même si ce qui se passe est intéressant.
Dans cette situation, il faut que:
- je gère toutes ces tâches,
- que je prenne un maximum de notes,
- que j’anticipe les questionnements, que je les conceptualise,
- mais aussi que je fasse encore un peu de discipline évidemment, il n’y a pas de magie là-dedans.
Des responsabilités pour moins de fatigue du prof, et plus d’implication des élèves
À partir de là, je me suis dit que c’était le moment de passer le cap, et de lâcher du lest. Il y aura dorénavant un responsable de l’appel et de la vérification du matériel choisi par ordre alphabétique (ça fonctionnait bien l’année passée), ainsi qu’un responsable de ces fameuses questions issues des débats.
Bon, ça n’est pas tout à fait un hasard si cette voie est empruntée. Une fois encore, lorsqu’on se penche sur les études concernant la motivation autodéterminée, on apprend que l’un des trois besoins fondamentaux participant à l’émergence d’une motivation intrinsèque est le besoin d’appartenance sociale. Les responsabilités et les institutions dans la classe y participent. Et là, l’occasion était trop belle pour la louper.
Chaque classe dispose donc maintenant d’une pochette dans laquelle se trouve un tableau sur lequel le responsable inscrit les questions que je relève, et peu proposer d’en rajouter.
Le tableau:
Le rôle du responsable des questions:
- Prendre la pochette dans le meuble alloué lorsque son matériel de cours est prêt sur sa table
- Vérifier si des personnes sont inscrites pour la résolution d’une question
- Solliciter les personnes inscrites et leur proposer de présenter
- Écrire les nouvelles questions posées par les élèves ou par moi et qui sont pour l’instant notées au tableau.
- Inscrire en fin d’heure les volontaires pour le cours d’après
- Ranger la pochette à sa place
- Former le prochain responsable au cours suivant
Le rôle du responsable de l’appel:
- Préparer ses affaires sur sa table et lorsque cela est fait, passer derrière mon bureau
- Lorsque le calme est obtenu, faire l’appel sur l’ordinateur et relever les absences
- Vérifier que tout le monde a son matériel. Si ça n’est pas le cas, mettre un bâton dans mon cahier pour le signaler (3 bâtons entraînent une heure de retenue pour remettre le cahier en ordre, ou effectuer un travail supplémentaire si l’élève est à jour).
- Former le prochain responsable au cours suivant
Sur proposition d’élèves, j’ai également accepté qu’il y ait un secrétaire au tableau qui note les questions proposées par la classe. Ce rôle reste à mon avis sous-exploité, et la question des traces des débats et celle de leur utilisation reste ouverte.
Chaque élève présentant sa nouvelle, son actu, son objet, ou sa recherche, est responsable de la parole le temps de son passage. Je me plie également à ces règles et lui demande la permission avant de parler, et autant que possible, même lorsque je souhaite faire un rappel à l’ordre (je compte déléguer également cette tâche, afin de renforcer encore le contrôle des élèves sur ces temps, et donc en théorie leur investissement.
Le rôle de celui qui présente:
- Venir avec une recherche, une nouvelle, un objet ou une actualité préparés à l’avance, et les présenter à la classe (dans l’idéal en 2-3 min)
- Distribuer la parole aux personnes qui lèvent la main et leur répondre si possible
- Demander s’il y a encore des questions ou des remarques, puis laisser la place
De la navigation à vue à l’utilisation de la boussole
Et tout ça ça mène où? Pourrait-on se demander… L’avantage de ne pas avoir de programme et d’être fortement axé méthodologie fait qu’il est plus simple de prendre du recul sur l’apprentissage au niveau des savoirs, mais cela reste tout de même la question de fond.
Ici, les apprentissages sont visiblement plus lents certes, mais on sent très vite que quelque chose est en train de changer, et que les élèves sont en train de construire quelque chose, qu’il y a une sorte d’émulation (quand ça roule bien évidemment). Très vite, les temps de débats permettent de dérider la classe. On pose des questions pour mieux comprendre, on conseille, on veut en savoir plus, on demande de la clarté dans la présentation etc.
Ce qu’il se passe, en plus d’essayer de progressivement conceptualiser autour des choses qui les intéressent et qui les entourent, c’est que nous construisons peu à peu à partir des essais de chacun, plusieurs méthodologies:
- Au niveau de l’analyse de l’actualité, d’un événement (Qui? Quoi? Quand? Où? Pourquoi? Et après?)
- Au niveau de la recherche (comment as-tu fait pour trouver? Sur quel site? Qu’as-tu tapé comme mots?)
- Au niveau des techniques d’enquêtes (j’écrirai régulièrement des articles sur quelques recherches en cours, mais l’une d’elle nous amène à interroger des personnes car il y a peu de chance qu’Internet ou les livres nous suffisent).
- Au niveau de l’action de présenter un travail à l’oral (se faire entendre, comprendre, contextualiser, ne pas stresser…)
- Au niveau de l’exercice de la démocratie et du travail en groupe (autorégulation du groupe, règles collectives, écoute, curiosité, esprit critique etc.)
Ceci dit, plusieurs pistes de réflexions s’offrent à moi:
- Que faire de toutes les productions? (Un blog ou un wiki pourraient permettre de ne pas laisser tous ces travaux au fond d’un cartable. Cela renforcerait également leur valorisation, et élargirait encore les destinataires de ces recherches.)
- Comment faire en sorte que toutes les classes avancent plus ou moins en même temps, sans rendre trop artificiel le passage de propositions méthodologiques à éléments à connaître et à maîtriser. (À chaque classe son rythme, mais il y a tout de même des contraintes de temps).
- Que faire de toutes les questions qui n’ont pas été choisies?
- Comment gérer le temps? Faut-il faire passer tous les élèves? Favoriser le travail en groupe?
Il y a encore du boulot, mais les choses deviennent de plus en plus intéressantes pour moi… et pour les élèves!