Médias: Comment monter une campagne raciste en trois clics

monty-python-and-the-holy-grail-1975-630-75Être journaliste ne doit pas être facile de nos jours. Il faut suivre la tendance, la course au buzz. Il faut relayer ce que le voisin a publié tout en essayant de mimer l’objectivité. Et avec le pouvoir viral d’Internet, ça donne parfois de drôles de choses. On peut le constater à la vue de cette histoire d’agression d’une femme en maillot de bain à Reims.

Quand on travaille à l’Éducation aux médias avec les enfants, nous sommes quotidiennement amenés à les aider à croiser les informations, à renforcer leur esprit critique, à sélectionner les sources d’information. Mais il arrive parfois que ce tri relève du parcours du combatant quand même la presse dite « sérieuse » relaie les discours les plus délirants sans même prendre le temps de vérifier les choses, ou de penser à l’impact produit. La distance qui les sépare des idioties que l’on trouve par moments sur les réseaux sociaux tend à momentanément s’amenuiser dans ce genre de situation. Pas facile pour un élève de collège d’y voir clair, plus encore pour un enseignant d’expliquer ce qu’il se passe.

Le cas qui m’intéresse aujourd’hui est cette histoire dont tous les journaux ont parlé ce dimanche (soit 4 jours après les faits): l’agression présumée par 5 jeunes filles d’une aure qui était en train de bronzer en maillot de bain dans un parc de Reims. Si la chose est grave, elle aurait tout à fait pu rester dans la page faits divers d’un journal local, ou même ne pas être publiée du tout. Après tout, s’il devait y avoir un article à chaque agression commise en France, on n’aurait plus le temps d’écrire sur le reste…

La portée symbolique de l’anecdote

Mais cette altercation là n’est pas restée dans l’anonymat car elle est porteuse d’une symbolique qui fait recette ces temps-ci. Par de plus ou moins discrètes allusions trouvées dans les journaux, on comprend rapidement ce qui motive un si large relais: les agresseuses viendraient de « quartiers ». Moins suggestif, le journal l’Union pose les bases de ce qui sera le débat du week-end sur les réseaux sociaux:

« Voir cette femme qui bronze au soleil, allongée dans l’herbe, semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs car elle vient lui reprocher sa tenue légère jugée indécente en pareil endroit.

Effarée par un tel discours aux relents de police religieuse, la jeune femme se rebiffe en rétorquant qu’on n’a pas à lui dicter sa façon de se vêtir. »

L’analogie qui justifie une couverture nationale est cette fois plus évidente, et c’est l’élu Les Républicains Éric Ciotit, en plein pèlerinage de Notre-Dame du Très Haut au Col de la Bonette, qui le résume le mieux:

https://twitter.com/ECiotti/status/625001318307000321

Nous revoilà englués dans ce fameux choc des civilisations. Pas besoin de creuser trop loin pour comprendre qui est le « nous » et ce que désigne ce « on » qui veut « imposer un mode de vie ». Le député Maire de Reims (LR) a lui aussi sû se faire comprendre lorsqu’il parle d’un fait « intolérable sur notre territoire ». Traduction: On n’est pas en Syrie ici nom de dieu!

Plus inattendu, c’est SOS racisme qui a très largement participé à propager cette analyse islamophobe de la situation (on apprend bien vite que l’une des agresseuses supposée est musulmane):

« On se mobilise pour soutenir la jeune fille, que le motif de l’agression soit la morale, la politique ou la religion. La lutte contre l’obscurantisme, c’est l’affaire de tous, aucune morale bienfaitrice ne peut limiter nos libertés  »
Tiguda Diaby, responsables des comités de région

Sur Twitter, l’association lance la mobilisation avec le hashtag #Jeportemonmaillotauparcleo afin d’inciter les gens à se rendre au parc en tenue de baignade ou à se prendre en photo habillés comme tels pour le réseau social.

Engagée même le week end, SOS racisme se permet quelques petites folies esthétiques:

sos_racisme_bikini

Le bon vieux temps…

 

Si ce n’est pour faire « du clic », le choix de la photo rétro rappelant une époque ou la figure du non-blanc était abente ou cantonnée au rôle de serviteur laisse songeur dans ce cas de figure. Les commentaires de ce tweet, qui pour les 9/10 semblent issus d’un forum du FN donnent une idée de ce que suggère cette représentation.

Cette action d’SOS racisme aura souvent servit de support pour remplir les différents articles de presse.

Les parallèles douteux

Que les politiques et associatifs y aillent de leurs petits commentaires selon leurs conceptions du monde, à la rigueur, et quelque soit le degré de connerie, c’est leur travail. Mais le relais médiatique quasi automatisé de ces propos a dans un premier temps rendu extrêmement compliqué le désamorçage de ce hoax (involontaire espérons-le). Buzz oblige, beaucoup y sont allés de leur article sur les « réactions » permettant de donner la parole à des personnes pas mieux informées mais qui ont tout de même un paquet de choses à dire.

Prenons Europe1 par exemple:

  • Éric Ciotti (voir ci-dessus),
  • Florian Philippot: « Lynchée car en maillot de bain…Il faut entendre lynchée car vivant à la française! Plus que temps de changer de cap « .
    Ou encore « Les agresseuses de la femme en maillot de bain n’ont qu’à se baigner sur la plage saoudienne de Vallauris. Là-bas l’Etat les chouchoutera… »
  • Nadine Morano postant une vielle photo de Brigitte Bardo en maillot de bain (tiens la même idée qu’SOS racisme)
  • Valérie Boyer: « Je ne peux tolérer, que dans notre pays, une minorité cherche à ns imposer un mode de vie qui n’est pas le notre »

Voyons comment de son côté, Anne Sinclair, directrice éditoriale du Huffington Post, analyse la situation:

https://twitter.com/anne_sinclair/status/625235100662407168

(Tiens! La même idée que Philippot) Cela fait tristement écho à cette caricature très largement diffusée sur les réseaux:

plage

D’un côté une victime supposée blanche qui se fait agresser par des hordes fanatiques dans un parc, de l’autre, un Saoudien qu’on sait musulman qui privatise une plage et impose ses volontés. Toutes ces images incrustent une idée bien claire: tout ça, c’est bien une histoire de musulmans. Encore le choc des civilisations…

Le sens des titres

Comparons un peu la titraille de différents journaux pour comprendre comment l’analyse de l’événement peut encore être induite:

On a l’affaire classée:

Rouée de coups pour avoir bronzé en maillot : vague de soutien et rassemblementLe Parisien

Reims: Rouée de coups car elle bronzait en maillot de bain dans un parc20 minutes

L’appel à la mobilisation sous couvert de citation:

« Tous en maillot » après l’agression d’une femme en bikini à ReimsHuffington Post

La prudence:

L’affaire du bikini de Reims : les origines d’un emballement médiatique – MetroNews

Emoi et conclusions hâtives après l’agression d’une femme en bikini dans un parc de ReimsLe Monde

Et tout ça pour quoi?

Pour conclure, le journal L’union, à l’origine de la diffusion de ces sous-entendus nauséabonds, avoue aujourd’hui qu’ils ont écrit «sans connaître les motivations précises de l’agression»: «on ignore les propos tenus par les jeunes filles qui ont molesté la victime».

Mais avec Internet ce qui est bien pratique, c’est qu’on peut éditer les articles et rectifier le tir. On le constate notamment chez Libération qui titre actuellement: À Reims, emballement après l’agression d’une jeune fille en maillot de bain, alors que l’adresse URL de la page révèle encore point de vue moins mesuré: http://www.liberation.fr/societe/2015/07/26/une-jeune-femme-tabassee-pour-avoir-porte-un-maillot-de-bain_1354087

À cette heure vous l’avez compris, tous les journaux dénoncent un traitement hâtif de l’information. Sans blagues?!

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