Je suis toujours étonné d’entendre certains propos d’élèves au sujet de Wikipédia lorsqu’ils tombent dessus alors que je les aide à trouver un site pour une recherche. Comme pour s’absoudre du pêché commis, beaucoup se sentent obligés de me rétorquer « qu’on n’a pas le droit », ou « on ne peut pas » parce que « y’a plein de gens qui peuvent écrire des choses dedans ». Certes. Les collègues ont fait du bon boulot, la leçon est convenablement recrachée.
Plusieurs réflexions me viennent toutefois suite à ces réactions.
« Tout le monde peut écrire dedans »
Une étrange sensation me fait penser que les élèves ont dû être gentiment « traumatisés » à chaque visite pour que ces réactions paraissent aussi spontanées et intégrées. Étrange priorité que de leur transmettre cette angoisse.
Évidemment, c’est l’idée que c’est ce qu’il faut répondre à l’enseignant qui a surtout été assimilée, car le dos tourné, peu font tant de cas d’une petite visite sur Wiki.
En gros, s’ils ne peuvent pas comprendre le fond, au moins, qu’ils sachent rebalancer le cours à bon escient, ça fait toujours plaisir à entendre et ça doit gonfler l’égo du prof!
Le « tout le monde peut écrire dedans » semble être ici une cause de la probable non fiabilité des informations. Drôle d’idée si on y réfléchit une seconde. Plus il y a de gens qui travaillent à une même tâche, plus le résultat devrait être mauvais en quelque sorte? Présenté de cette façon, cela paraît moins évident bien sûr. Il ne s’agit pas pour autant de nier le « vandalisme » sur l’encyclopédie, mais une étude réalisée il y a pourtant plusieurs années montrait que l’écart avec une référence telle que Britanica n’était pas si évident, et que la rapidité de modification des erreurs donnait un avantage certain à Wikipédia.
Beaucoup restent toutefois encore crispés, et certains préféreront saccager un article pour coincer leurs élèves (notez qu’il a fallu bidonner soi-même 😉 ), plutôt que de les accompagner dans leur apprentissage de la critique de l’information.
En définitive, pas de quoi traumatiser des générations sur le phénomène à mon avis. Mais si de véritables questions sont à traiter, il me semble que c’est surtout le malaise des tenants de l’archétype du spécialiste, de l’autorité détentrice d’un savoir transcendant, qui guide les réactions. Il est évident que le modèle coopératif et internet en général sont des grands facteurs d’insécurité pour les enseignants dont le statut de référent dans le domaine des savoirs continue à se déliter.
Le papier c’est la vérité
La célèbre encyclopédie libre est la plupart du temps mise en opposition avec le livre, et quelquefois aux « bons » sites internet (ceux dont les auteurs sont identifiables et reconnus).
Mais un site gouvernemental en pleine période de campagne pour la vaccination contre le H5N1 est-il une source d’information si digne de confiance? Et sur le nucléaire? Les débats sur l’Europe?
En ce qui concerne le livre, il me paraît tout à fait contreproductif voire dangereux de le présenter comme recours auto-suffisant face à Wikipédia, ou même face au net.
Le bouquin qui se situe dans le CDI de l’établissement a de grandes chances d’apporter des informations justes, c’est sûr. Mais les profs-doc lisent-ils vraiment tous les ouvrages mis en rayon? (moi non) Ont-ils vraiment les compétences pour évaluer chacune des informations proposées aux élèves? N’y trouve- t-on aucune subjectivité? La plupart des enseignants affirmeront certainement que leur opposition n’est pas si manichéenne, mais le malaise est bien perceptible, et la question du croisement des sources est souvent inexistant lors des recherches documentaires dans les livres.
Au fond, l’information n’est en rien censée être plus juste dans un livre que sur le net. Dans L’effroyable imposture, Thierry Messan explique que les attentats du 11 septembre 2001 ne sont qu’un complot des services secrets américains et qu’il n’y a jamais eu d’avion dans le Pentagone. Est-ce de la faute d’Internet? Mein Kampf n’est-il pas également un livre? (ça c’est mon côté « demi-mesure » 😉 ) Tintin au Congo? N’importe quel album jeunesse dans lequel Maman Ours fait la cuisine pendant que Papa Ours lit le journal? (bon en principe on est plus au niveau collège là, mais nous avons aussi nos « pépites » 😉 ).
Même les manuels scolaires n’y échappent pas ! (erreurs historiques, idéologies, discriminations…)
À côté de cela, les blogs sont souvent bloqués par le pare-feu des établissements. On assimile ainsi une forme de publication avec la qualité du contenu, le blog étant irrémédiablement lié à une pauvreté et médiocrité de l’information. Pourtant, dans bien des cas, les blogs de qualité existent : blogs collaboratifs, spécialisés, de chercheurs, d’information…
Le papier c’est organisé
Internet inspire souvent les craintes aussi en raison des potentielles difficultés de lecture qu’il peut engendrer. La surcharge d’information (encarts, flux RSS intégrés, pubs etc.) influe sans doute sur l’attention. La redocumentarisation (voyage d’une même information dans des sites / contextes différents, augmentant par là le nombre d’informations liées, et modifiant ainsi le milieu et donc la perception de l’information), et la décontextualisation de cette info qui en découle, appellent à de nouvelles compétences, c’est indéniable.
Mais en ce qui concerne la mise en page uniquement, tous les documentaires papier ne se valent pas non plus, même avec des informations fiables (niveau de lecture, choix des illustrations, de leur taille les unes par rapport aux autres, notamment en ce qui concerne les proportions de tailles des éléments représentés etc.). On pourra trouver également des sommaires illisibles pour les élèves, trop littéraires, des niveaux de lectures différents… Sur ce dernier point on pourra renvoyer la faute au prof-doc et à son choix des ouvrages, mais cela serait sans compter sur les questions de budget qui limitent parfois fortement la marge de manœuvre.
Enfin, le must dans le genre c’est aussi souvent le kiosque ONISEP. Sans encore une fois un budget autorisant une tenue sérieuse de ces ressources en orientation, nous nous retrouvons avec cet outil « officiel », ces beaux casiers trônant face aux élèves, mais dont les contenus peuvent être sacrément dépassés! Étant personnellement dans un établissement sans budget orientation, je suis souvent mal à l’aise lorsque par « mégarde » les élèves se dirigent vers cet outil afin de préparer leur avenir.
Se rassurer, accepter la part d’inconnu
Que l’on le veuille ou non, Internet prend une place grandissante dans les pratiques de recherches documentaires, et les élèves s’y dirigent d’eux-mêmes, notamment pour leurs activités personnelles. Le connectivisme, théorie d’apprentissage à l’ère numérique, commence à étudier ces nouvelles pratiques hors institution scolaire qui permettent aux jeunes un autre accès au savoir (auto-apprentissage, apprentissage avec les pairs,…). Nous aurions donc grand intérêt à prendre en compte cela ne serait-ce que pour leur permettre de maîtriser leur environnement, ce qui est bien souvent loin d’être évident. Chez moi, taper une question rédigée pour une requête, ou encore ne pas savoir centrer un texte dans LibreOffice, par exemple, restent jusqu’en 3e des comportements observés chez les élèves.
Partir de leurs pratiques et intégrer le monde dans lequel ils évoluent est une nécessité sociétale, et pédagogique. Nous ne devons pas mentir aux élèves en sous-entendant que l’information (même dans les livres) ne devrait pas (dans l’idéal) être systématiquement confrontée à d’autres, digérée, appropriée. La peur du numérique qui est celle de beaucoup d’adultes ne doit pas être transmise aux élèves, sous peine de creuser encore un peu plus le fossé générationnel et de révéler de réelles contradictions parfois développées par les enseignants. Lorsque les élèves les repèrent, la confiance est rompue, le conseil et l’accompagnement sont perçus comme du « discours », des contraintes scolaires infondées.
Le problème de fond se nourrit en grande partie de cette peur, celle de se retrouver dans une situation nouvelle, face à des élèves prétendument experts des nouvelles technologies. Mais j’ai la conviction que la seule différence entre l’élève et le prof, c’est que le premier n’éprouve généralement aucune anxiété avec un outil qu’il connaît depuis la naissance.
Être dans une situation nouvelle et s’y adapter, c’est le propre de la vie et de l’évolution. Dire que l’on ne sait pas, c’est le propre de la sagesse. En revanche, être capable de se donner des outils et des techniques pour appréhender l’inconnu, le neuf, c’est le rôle de l’enseignant, et le savoir-faire de tout individu autonome en général.
Aider nos élèves, c’est sans nul doute leur apprendre à développer de telles postures face à la nouveauté et non pas leur transmettre, consciemment ou pas, l’idée que les sources traditionnelles qui font autorité (le manuel, le livre, le journal,…) sont immuables et qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucune évaluation critique.