La question du volume sonore dans la classe se pose régulièrement lors de discussions entre collègues, et plus encore si l’on envisage de modifier ses pratiques pour aller vers un fonctionnement plus coopératif. Ainsi, différentes inquiétudes sont en général présentées à l’évocation du développement des libertés par exemple. Le bruit serait pour certain-e-s l’indicateur d’une classe qui travaille car naturellement, les échanges entre pairs voire les déplacements, entraîneraient un niveau sonore élevé. C’est l’image de la ruche qui bourdonne (et parfois davantage).
Ce problème du contrôle du niveau sonore me paraît parfois révélateur d’une impasse dans laquelle nous sommes tou-te-s tenté-e-s de nous engouffrer : celle du laisser-faire face à une classe qui chercherait avec constance la voie de l’auto-organisation. Il me semble au contraire que la capacité pour les élèves à faire usage de leur liberté dans un cadre accueillant pour tou-te-s dépend d’une structuration forte de la classe, notamment du point de vue disciplinaire. C’est aussi dans la pagaille que pourront se cacher les conflits voire les violences entre élèves, nous laissant alors souvent incapables de démêler les causes du désordre.
D’autre part, le bruit dans la classe participe souvent au développement d’une souffrance chez certains profs. La situation mérite donc qu’on ne se résigne pas à choisir entre calme et développement de pratiques émancipatrices pour les élèves.
Même si en éducation prioritaire on suppose que beaucoup de nos élèves ne sont pas familiarisé-e-s avec le silence, ou tout au moins le calme de par leur environnement personnel, il semble évident que tou-te-s ne sont pas capables de se concentrer dans un environnement bruyant, qui plus est lorsque les activités en cours les confrontent à leurs difficultés.
Inversement, une classe dans laquelle seule la voix de l’enseignant-e rythmerait les différentes phases de l’heure, pourrait difficilement laisser envisager une quelconque entreprise d’émancipation pour les élèves tant ceux-ci seraient réduit-e-s à une posture de réceptacles passifs pour les savoirs.
On pourrait alors conclure que ni le silence ni le bruit ne peuvent être les indicateurs d’une classe au travail.
Le problème qui se pose alors est le suivant : comment permettre le développement de libertés chez les élèves (en terme de travail, d’échanges, de déplacements…), sans pour autant transformer sa classe en piste d’atterrissage d’aéroport?
Les lignes qui suivent ne contiennent que des propositions de pistes (de décollage), aucune n’a d’effets instantanés et les résultats varient chez moi régulièrement en fonction de ma capacité à m’y tenir avec constance. À vous de vous en saisir ou non donc.
Envisager des phases
Cela paraît peut-être évident pour beaucoup, mais lancer un nombre trop important de nouvelles techniques dans la classe est facteur de déstabilisation, et pour les enfants, et pour nous. Cela renforce bien souvent les problèmes de bruit car chacun se cherche et les phases de flottement s’accumulent. C’est en particulier dans ces moments que l’on perd rapidement la main.
Il semble donc plus prudent de développer progressivement les techniques que l’on souhaite mettre en place ainsi que les droits du type déplacements, entraide etc. Étant plutôt laxiste dans l’âme, un début d’année assez rigoureux sur les prises de parole et la mise en place des phases du cours me parait être une bonne chose pour laisser les libertés se construire par la suite. On pourra ainsi, au fil des séances, introduire des possibilités de se déplacer tout d’abord liées aux nécessités de travail de toute la classe, par la suite pour des raisons plus personnelles (entraide, utilisation de fichiers de travail en autonomie etc.). Une fois ces libertés introduites, il est possible de conditionner certaines de ces libertés au respect des règles. Il est alors nécessaire de prévoir des fichiers de travail pour les élèves non-autonomes.
Le cours lui-même peut gagner à se découper en phases durant lesquelles les attendus en terme de niveau sonore sont explicités. Pour ma part, les choses se déroulent de la façon suivante (les responsables ne sont introduits qu’après quelques semaines, je prends les choses en charge ou désigne des personnes en début d’année) :
- Dans le couloir, les élèves se rangent par deux et font le silence (les couloirs étant souvent bruyants, il s’agit surtout de s’y préparer).
- Un responsable rappelle les règles d’entrée et le matériel à prendre.
- Pendant cinq minutes, les élèves s’installent et s’attellent petit à petit à baisser le niveau sonore pour la suite. Le responsable commence l’appel lorsque le silence complet est fait. Seuls les élèves appelés peuvent s’exprimer.
- Un responsable fait le rappel de ce qui a été vu précédemment et nous remémore les éventuels devoirs à faire.
- Temps de présentations de travaux libres ou commandés: un-e responsable de la parole est en charge.
- Temps d’ateliers (plan de travail), les élèves ont le droit d’échanger lorsque nécessaire mais en chuchotant
- Clôture de la séance (bilan, devoirs etc.)
Durant ces différents temps, je rappelle toujours en début d’année quels sont les attendus en terme de prise de parole. Trois situations sont possibles:
- Une personne, adulte ou non, s’exprime devant la classe: le silence complet est attendu car il peut s’agir de consignes ou de bilan, de présentation de travaux personnels ou d’une question qui regarde toute la classe en début d’activité.
→ On lève la main - Travail individuel ou de groupe qui ne nécessite pas un isolement de chacun-e
→ On peut chuchoter - Travail individuel type passage de brevet
→ On n’a pas le droit de parler sauf à mon oreille et avec autorisation
Un panneau avec les codes sons peut être mis en place voire même être géré par un-e élève responsable si la structure coopérative de la classe est suffisamment développée. Il est alors possible de définir avec eux les règles nécessaires au maintien du calme dans la classe en conseil d’élèves ou à défaut, dans un temps de réunion pris pendant le cours.
Voici un autre exemple de panneau trouvé en ligne: Code son
Il semble en tout cas que la régularité dans la proposition de temps identifiés en fonction des attendus en terme de niveau sonore favorise la compréhension par les élèves des comportements à adopter pour travailler dans de bonnes conditions.
La posture des adultes
Si les élèves ont souvent à apprendre avant de pouvoir respecter le travail des autres (certains ne savent tout simplement pas chuchoter), il me semble qu’une partie non négligeable des dysfonctionnements trouve ses origines dans notre propre attitude. Lorsque tout va bien, le niveau sonore d’un CDI est relativement faible et les élèves semblent très bien s’en accommoder. L’arrivée d’une personne adulte extérieure n’étant pas prête à ce moment à chuchoter démontre souvent le rôle déterminant que nous avons dans le maintien ou non d’une ambiance sereine. Ainsi, le bruit augmente naturellement lorsqu’une seule personne se met à déroger à la règle. C’est toujours assez impressionnant à constater.
Pour les enfants, lorsque le calme est la norme, on prend rarement le risque d’être le seul à être entendu par tous, c’est pourquoi on se conforme nous aussi au respect de ce climat. Pensons-y et évitons de briser cet état sous le seul prétexte que nous sommes adultes et donc privilégiés.
Pendant les cours, il en va de même. S’il arrive que nous annoncions une phase ou les élèves doivent chuchoter et qu’en aidant un-e élève par exemple, nous outrepassions cette consigne, les autres comprendraient rapidement que la demande de calme ne relève finalement pas d’une condition pour bien travailler mais plutôt d’une injonction pure. Nous devons donc nous-même nous imposer la même discipline que celle demandée aux élèves dans les temps de travail silencieux. Les remarques disciplinaires gagnent elles aussi à être faites individuellement et en chuchotant si telle est la règle pour tous. Afficher l’élève devant la classe en l’interpelant devant tout le monde n’aurait pour effet que d’interrompre le travail et fournir une tribune à un élève éventuellement en recherche de provocation. Au cours de ces temps, je tâche de n’intervenir pour tous que lorsque je constate une difficulté partagée, pour annoncer le temps restant quand il n’y a pas encore de responsables ou pour effectuer un rappel au calme si aucune solution individuelle n’a abouti).
De manière générale, plus le volume de notre voix sera mesuré, plus les élèves auront tendance à faire de même. Il va de soit qu’une séance entièrement développée sur le modèle magistral complique l’utilisation de cette technique car bien souvent, le volume sonore élevé est utilisé pour poser un rythme sensé compenser une plus grande passivité des élèves.
J’ai remarqué un autre cas où mon action pouvait influer négativement sur le respect des règles de prise de parole. Certains élèves peinent en début d’année à respecter les règles établies. Étant souvent en demande d’attention et parfois en difficultés scolaires, des élèves surinvestissent l’oral pour fayoter ou tenter de se donner une place qu’ils ne pourraient construire par le travail. Pour les premiers, il y a un risque de les laisser étouffer le collectif qui se repose alors trop sur eux et ils finissent par ne plus se donner la peine de respecter les règles, se considérant comme seul interlocuteur. Pour les seconds, cela peut amener des demandes incessantes de vérification de leur avancement, des prises de paroles plus ou moins volontairement hors sujet, des tentatives de plaisanteries, des réponses spontanées traduisant une frustration accumulée par l’incapacité jusqu’à présent à poser leur pierre à la réflexion en cours etc. Il me semble important de rester ferme avec ceux-là sous peine de laisser se développer l’idée que les demandes de parole ne constituraient là-encore qu’une injonction arbitraire et non une condition pour le travail. Ignorer les prises de paroles intempestives et/ou rappeler les règles permet plus ou moins rapidement de faire accepter le cadre et de refuser de renforcer les demandes d’attention sous cette forme.
La gestion collective de l’organisation du travail
Lorsque la classe bénéficie de temps dédiés à la gestion coopérative de la classe, on a tout à gagner à renvoyer un certain nombre de situations vers les instances adéquats. Le conseil d’élève ou de coopérative est donc le lieu indiqué pour aborder les problèmes. La question des prises de parole mais surtout de l’organisation du travail permet de faire émerger les besoins de sérénité, de forger des règles ainsi que des solutions pour les faire respecter.
De plus, avoir des responsabilités dans la classe, en plus de celles éventuellement relatives au rappel des règles, renforce aussi le sentiment d’œuvrer à un travail collectif et donc développe l’envie de respecter les règles de vie en commun.
Pendant les activités, c’est aussi souvent lorsque l’organisation du travail n’est pas rigoureuse que les mauvaises habitudes réapparaissent. Nous avons notre part, mais associer les élèves à sa définition apparaît aussi comme une solution efficace. Accueillir les propositions de gestion des espaces, de règles, de pistes de travail etc. peut s’avérer efficace.
Les discussions marquent aussi parfois un travail terminé et une incapacité pour l’élève à s’organiser pour la suite. L’utilisation de plans de travail peut permettre de fluidifier ces temps morts afin d’économiser une intervention de l’adulte lorsque l’élève pourrait lui-même passer à une autre activité. Ces temps peuvent d’ailleurs constituer de premiers moments pour engager ou continuer un travail libre si l’on a pas encore réussi à les accueillir pleinement.
Enfin, si le bruit ou le silence ne disent pas grand chose du niveau d’activité d’une classe, c’est bien le travail émancipateur, librement défini et donc intrinsèquement motivé, qui crée naturellement les comportements appropriés et une ambiance studieuse.
Lorsque l’on écrit un texte libre libre ou que l’on prépare une recherche personnelle, on est beaucoup moins tenté de vérifier si la gomme du voisin est plus efficace que la sienne. C’est donc également le développement d’un travail personnalisé qui finira d’installer un environnement respectueux pour tous les élèves (et l’enseignant-e !).
Pour conclure, on voit que le calme dans la classe est bien le résultat d’un certain nombre de techniques mises en place dans un cadre pensé au service d’un travail véritable et non le résultat naturel issu d’une liberté donnée immédiatement et tout entière aux élèves. Accueillir la spontanéité des élèves ne semble envisageable que dans un cadre rigoureux mais pas pour autant autoritariste. C’est lorsque l’on se sent en sécurité dans le collectif que l’on peut s’autoriser à livrer sa pensée, à argumenter, contredire, se tromper etc.
L’exemplarité de l’adulte, la définition de temps spécifiques et la gestion coopérative de l’organisation du travail participent ainsi au développement d’un travail émancipateur.
Un article très intéressant.
Merci pour cet article qui me permet de balayer mes dernières réticences face à la pédagogie Freinet. En effet, j’ai déjà bien réfléchi à une rénovation de mon enseignement du français en collège, j’ai aussi échangé avec plusieurs collègues (dont une de tes collègues de français qui m’a donné le lien vers ce blog), mais j’avoue que la peur du bruit est tenace même si en te lisant je me rends bien compte que si je propose un cadre accueillant, organisé, bienveillant mais exigeant, les élèves se mettront au travail sans bruit excessif !