Huitième tome de l’excellente série lancée par Libertalia et N’autre École / Q2C, Le Maître insurgé met en avant les écrits de Célestin Freinet. Issus de L’École Émancipée, de l’Éducateur Prolétarien (ancien Nouvel Éducateur) et de la revue Clarté (H. Barbusse), ces textes se situent dans la période de l’entre-deux guerres (1920-1939), des premières années de Freinet à son internement en 1940, en passant par ses démêlés avec l’extrême droite de Charles Maurras.
On y découvre un Freinet habituellement peu mis en avant: le militant révolutionnaire. S’il faudrait avoir une lecture très sélective pour ne pas connaître l’investissement politique du pédagogue, la priorité donnée à la pratique de classe dans ses propres écrits et dans les récits relatifs à son héritage a quelque peu invisibilisé une partie de ses engagements. En effet, Freinet fait ses débuts à la CGTU et en particulier à la Fédération Unitaire de l’Enseignement (FUE) dans laquelle se développent les pratiques pédagogiques que Freinet récupère, expérimente et développe (il y est évidemment une grande force de proposition mais on a tendance à négliger l’aspect collectif du développement de cette pédagogie). Ce Freinet révolutionnaire est bien loin de l’éducateur isolé et idéaliste qu’on peut parfois décrire aujourd’hui. Sans aucune ambiguïté, il revendique et met en application une action collective axée sur deux priorités: la recherche pédagogique pour l’émancipation du peuple et l’action révolutionnaire par le biais du Syndicat et du Parti (le PC dans son cas). Comme beaucoup à la FUE, il considère comme un devoir de mettre en cohérence projet politique et pratiques de classe. Ainsi, il déplore que « révolutionnaires hors de la classe, nous soyons d’autoritaires réactionnaires avec nos élèves ».
Pour préparer l’homme « capable de se dresser devant l’erreur et l’injustice », Freinet prend à contre-pied l’éducation qu’il juge capitaliste et replace l’enseignement à son juste niveau: celui du milieu dans lequel vit l’enfant. Il ne s’agit plus d’en extraire l’apprenant, de faire abstraction des inégalités, du quotidien, de la vie, mais de prendre appui sur la réalité pour comprendre le monde et replacer l’apprentissage dans une démarche d’épanouissement et d’augmentation des aptitudes à influer sur le réel.
Cette posture le met rapidement en désaccord avec les position de la Ligue Internationale pour l’Éducation Nouvelle. Pour lui, la simple action pédagogique ne saurait suffire car dans le système capitaliste, le pédagogue ne pourra jamais aller au bout de son œuvre émancipatrice notamment en raison de l’exploitation du peuple par le travail et de la fonction même de « l’École capitaliste ». L’idéalisme du mouvement lancé par Ferrière est ainsi vivement critiqué même si Freinet continuera à participer aux rassemblements de la Ligue.
L’action syndicale et politique va donc de pair avec la recherche pédagogique. Freinet ne cesse de remettre au centre cette conviction, ce qui se comprend lorsque les classes sous-équipées avoisinent les 50 élèves. Ainsi, son engagement se dirigera également vers la création de coopératives de consommateurs et une de travailleurs pour l’électrification de sa commune, vers l’ouverture d’École aux parents etc.
Par ses apports toujours éclairants, on ne peut donc que conseiller cet ouvrage coordonné par Grégory Chambat et Catherine Chabrun même s’il n’est pas nécessairement celui à lire en premier lorsque l’on découvre Freinet. Reste que cet aspect de l’investissement de Freinet méritait d’être rappelé, notamment à l’heure où les libéraux pillent l’héritage des pédagogies actives pour remplir leurs objectifs de productivité et d’enrôlement des travailleur-se-s.
À lire aussi, l’article de G. Chambat dans l’Obs au sujet de cet ouvrage.