Un mois et demi s’est écoulé depuis le dernier article sur ma première expérience allant dans le sens de la méthode naturelle de lecture écriture (MNLE) avec des élèves d’ENSA (Élèves Non Scolarisés Antérieurement).
Les aléas de la vie professionnelle ont fait que quelques séances ont dûes être repoussées car ma collègue ou moi-même n’étions pas disponibles sur certains créneaux (formations, stages, projets etc.). Cela nous a poussés à changer le jour de notre rencontre hebdomadaire, et a un peu influé sur la composition du groupe, étant donné que tous n’ont pas un volume horaire de cours ENSA identique.
Finaliser l’écriture, préparer les présentations
Au moment de la rédaction du premier article, nous avions des ébauches de textes, des premiers jets proposés par les élèves seuls pour les plus à l’aise, en dictée ou semi-dictée à l’adulte pour ceux les plus en difficulté.
Chacun d’eux avait une feuille de mots nouveaux présents dans le texte afin de constituer un stock de référence pouvant être réinvesti/reconnu plus facilement par la suite. Il s’avère pour l’instant que cet outil n’ait pas été complètement exploité dans le cadre de cette activité. L’idée me reste à l’esprit, mais sans doute le texte lui-même (incluant donc le sens, et l’ordre du déroulement des idées présentées), sera prioritairement « absorbé » par les élèves plutôt que des mots sortis de leurs contextes. C’est au cours d’un autre travail avec l’un de ces élèves que j’ai pris conscience de l’extrême importance que cela pouvait avoir pour l’élève perdu dans un dédale de mots. Se raccrocher en premier lieu au sens et à la narration se révélait bien plus efficace qu’un simple décodage.
Chacun des élèves a suite aux premières écritures, été assisté par ma collègue ou moi-même pour retravailler les formulations et l’orthographe lorsque cela était nécessaire, tout en prenant soin de ne pas dénaturer l’expression en imposant un vocabulaire trop étranger à l’auteur.
Les textes ont étés recopiés au propre, et même illustrés pour certains. J’ai pu constater avec plaisir que plusieurs d’entre eux sont venus au CDI sur les heures libres pour travailler cette mise en valeur de leur production.
Un texte, un élève… Mais aussi un groupe
Nous avons préparé avec la collègue encadrant les ENSA un certain nombre d’étapes afin de sécuriser ce premier temps de présentations et de discussions, car c’est à ce moment que l’expression (et donc l’acte d’écriture) prend son sens: lorsqu’on la dirige vers les autres. Il a fallu évidemment réfléchir à un protocole/rituel et à des outils favorisant une écoute et des échanges fructueux.
Le déroulé était le suivant:
- Chaque élève lit son texte et présente son dessin s’il en a un
- Il précise:
- La raison du choix du sujet
- Ce qui a été facile à faire
- Ce qui a été difficile à faire
- Ce qu’il pourrait ajouter au sujet, qu’on aimerait traiter différemmentCe second point a été difficile a maintenir au fil des passages car probablement trop détaché de l’acte de communication sur le fond. On se trouve de façon prématurée au niveau de la métacognition alors que la tâche est encore en cours de réalisation et surtout au stade d’être simplement complètement identifiée (après l’écriture, d’autres questions permettant d’appréhender en pratique la nature de l’activité sont nécessaires à l’élève: « ce que je peux faire / dire lorsque je présente », « comment le public va t-il réagir et moi-même par la suite » etc.)
- Le groupe peut poser des questions sur le texte ou donner son avis sur le contenu, la forme, la présentation en elle-même.Le rôle des enseignants a été ici de tenter de poser des questions ne s’écartant pas trop du sujet proposé et de sa dimension affective, tout en ouvrant de nouvelles pistes de réflexions. Il tente de se poser en médiateur entre l’information première, et un savoir plus construit. Ici, ces ouvertures constitueront par la suite des propositions pour de nouvelles écritures / recherches documentaires.Il avait aussi été envisagé de construire une grille d’évaluation à partir des remarques des élèves sur la forme (nous attendions éventuellement des choses du type: « je n’ai pas bien entendu » / « compris » / « tu parle trop vite » etc., mais il me semble que cette question de forme s’est révélée être encore une fois secondaire dans ce premier temps comparativement au message.
Introduire un début de collaboration
Afin de réguler les débats, de permettre une écoute et donc une sécurité pour l’élève qui se livre, nous avons décidé d’introduire un-e responsable de la parole à chaque séance pour les débats.
Son rôle est d’autoriser les prises de parole lorsqu’on lève la main, enseignants compris. Le respect de ce dernier point me paraît essentiel pour conférer à ces premières lois du groupe un statut et une légitimité, et ne pas être perçu comme un artifice. Si ces règles doivent être adoptées, c’est qu’elles permettent à l’élève de s’exprimer, et au groupe d’interagir. Les élèves savent comme nous que nous avons un don pour intervenir à tout bout de champ, même lorsque cela n’est pas forcément nécessaire ;). Il y a me semble-t-il sur ce sujet un invariant de Freinet qui dit: « parlez le moins possible »! Certains élèves n’ont d’ailleurs pas hésité à user de leur droit à nous faire remarquer nos quelques petits écarts par moment, et on pris au sérieux cette tâche primordiale pour le développement des échanges.
En lien avec cette question de la parole s’est posée celle des outils employés pour encadrer les « infractions » aux lois. Nous avons réfléchi à l’instauration de la « minute de silence » pour les élèves trop éparpillés, mais cela n’a pas encore été ajouté aux responsabilités assignées aux élèves. L’idéal serait d’apporter cette proposition à un moment où le groupe se rend lui-même compte qu’une entrave à l’expression s’installe. L’objectif de cette mesure est là encore de renforcer la valeur de la parole tant de celui qui est interrompu, que de celui qui en est momentanément privé. Ma collègue commence cependant à intégrer cela dans sa classe.
Réflexions sur la motivation
Pour en terminer avec cette partie descriptive du cadre, je souhaitais revenir sur l’intérêt en terme de motivation de l’élève que peut avoir ce mode de fonctionnement.
Les pratiques du mouvement Freinet et les travaux d’Alain Guerrien et d’Annie Mansy-Dannay ont de façon très explicite mis en valeur trois facteurs favorisant une motivation auto-déterminée (intrinsèque) chez l’enfant. La culture scolaire nous impose encore beaucoup trop une vision de la motivation comme trait de caractère personnel (l’élève « intéressé », « volontaire », « curieux », ou alors « peu impliqué », « fainéant », « non concerné » etc.), et qui nous fait oublier que nous en sommes en réalité les principaux artisans de part les situations pédagogiques que nous proposons. Nos observations sur les bulletins scolaires en sont les manifestations les plus évidentes.
- Par le choix des sujets laissé relativement libre aux élèves mais surtout l’acceptation de la dimension affective dans le cadre du travail, c’est l’enfant qui prend place dans la classe, et non plus seulement l’élève. L’individu, son vécu et sa complexité, sont davantage reconnus. Cela explicite le sens du travail. et apprendre à écrire et à lire devient un facteur d’augmentation du potentiel de communication.
- Les présentation devant le groupe, l’écoute, et l’étude bienveillante et constructive de la parole de chacun peut conforter le besoin de compétence de chacun (cf: A. Guerrien et A. Mansy-Dannay). Les applaudissements à la fin de chaque présentation (initiative des élèves dès le premier passage), ont très bien traduit cette envie de se sentir réussir.
Le contraste entre certaines questions assez directes et exigeantes et ces fins toujours reconnaissantes du travail accompli est particulièrement intéressant. - On peut enfin faire un parallèle entre le besoin d’appartenance sociale (cf: A. Guerrien et A. Mansy-Dannay) et le début d’organisation coopérative qui se profile par l’introduction de responsabilités chez les élèves. Nous n’en sommes qu’aux prémices, mais cela renforce déjà l’existence d’un groupe avançant collectivement en se donnant des lois et des rituels. Les prochaines phases (écritures à partir des sujets issus des débats), devraient encore renforcer cette approche socio-constructiviste.
Des pistes à explorer à court et moyen terme?
Il paraîtrait intéressant de pouvoir rapidement utiliser les textes produits dans les leçons d’étude de la langue effectués en classe ENSA. Perfectionner sa maîtrise de l’écrit doit mener dans cette optique à être envisagé comme une augmentation des champs de l’expression pour l’enfant. Cela doit être un outil accepté par l’apprenant car conditionnant l’assouvissement de son besoin de communiquer et d’être pleinement compris, reconnu.
Ce prolongement posera je l’imagine un certain nombre de problèmes à résoudre de part la composition instable du groupe. Un travail conséquent devra être mené afin de constituer fichiers et exercices réinvestissant ces écrits, et selon le niveau de chacun. Il ne s’agit pas d’une tâche réalisable en quelques jours, et cela prendra probablement du temps et de la réflexion avant d’être tout à fait accomplie.
Autre chose, comment faire en sorte que tous les élèves puissent trouver un moyen de faire appel facilement aux mots/expressions présents dans les textes individuels, mais aussi du groupe lorsque nécessaire pendant l’acte d’écriture? Les textes et connaissances produits doivent constituer un patrimoine personnel et collectif, témoins de l’avancement et du savoir du groupe. Des outils et des rituels sont sans aucun doute à développer pour y parvenir.
Dans la seconde partie de cet article, j’essaierai d’étudier de façon plus concrète le déroulé des échanges et le contenu des présentations. À la fin de cette première phase, j’ai moi-même été agréablement surpris de l’ampleur des pistes qui se présentaient à nous pour la suite des événements.