Depuis la rentrée, je suis dans un collège Éclair en banlieue parisienne. En son sein, quelques élèves suivent des cours spécifiques en fonction de leurs besoins. Ce sont les Élèves Non Scolarisés Antérieurement (ENSA). Avec la collègue qui les encadre, nous avons décidé d’expérimenter à notre échelle la méthode naturelle de lecture-écriture (MNLE).
En observant le travail de cette dizaine d’élèves en classe, on se rend tout de suite compte que l’on ne se trouve pas exactement dans une classe de collège traditionnelle. Les âges sont différents, tout comme les niveaux, les parcours, les histoires. Certains savent lire, d’autres peinent à s’exprimer en français. Nécessairement, l’enseignement s’adapte, personnalise, s’appuie sur la progression individuelle et l’entraide. Assurément, le terrain est propice pour une expérience comme la notre, d’autant plus que l’apprentissage de la langue fait partie des priorités de la classe.
La MNLE, pour quoi faire?
En contraste avec les méthodes traditionnelles d’apprentissage de la lecture, la MNLE se fonde sur le besoin d’expression et de reconnaissance des individus pour former les lecteurs. Apprendre à écrire ne constitue pas le terminus, mais plutôt une étape, et surtout une condition de l’expression personnelle des enfants. C’est parce que l’expression et la communication sont des besoins fondamentaux que l’outil lecture-écriture se doit d’être acquis. Ne reléguant pas cette utilité à un possible qui émergera (ou non) en fonction des parcours de vie, orientations, métiers, pratiques culturelles etc., cette méthode l’intègre au contraire au cœur de la démarche, et en fait même un point de départ.
Libérer la parole, accepter de laisser entrer l’affect, le sensible, le quotidien, l’anodin, devient alors le premier pas vers l’expression d’une pensée plus élaborée. Ces événements relatés devront ici être écrits, récités, présentés, décorés, accrochés, mais aussi écoutés, respectés, questionnés et prolongés par les autres.
Le texte libre constitue ainsi l’une des entrées possibles vers une vie coopérative. Car pour présenter il faut une organisation, un moment et un temps de parole, et donc potentiellement des responsables élèves les faisant respecter, mais c’est aussi le cas pour le temps de questionnement-débat au cours duquel les échanges doivent être régulés, les prolongements ou éventuelles recherches clarifiés, les tâches réparties, les travaux réorganisés, représentés.
L’étude de la langue, les aspects techniques, l’apprivoisement difficile du français, se basent ainsi sur le besoin de communication, sur la compréhension du sens, sur les exemples concrets et vivants apportés par les enfants. De l’acceptation de l’expression d’une culture « première » parfois basée sur l’anodin et le quotidien (mais chargée d’affect pour l’enfant), pourra ensuite naître et se construire une culture plus élaborée fondée sur le travail collectif et individuel au sein du groupe.
Nos premiers pas
Au cours de cette expérience, nous nous verrons une heure par semaine au CDI, avec la classe entière et les deux enseignants. Pour commencer en sécurité, nous avons proposé deux sujets d’écriture au choix: « décris une personne que tu aimes, et explique pourquoi tu l’as choisie », et « raconte un bon souvenir ».
Pour la plupart, le temps de réflexion est resté assez court, et l’écriture s’est assez vite déliée. Pour certains, elle s’exprimera sous la dictée, pendant que d’autres avancent à leur rythme avec plus d’autonomie.
Rapidement, Junior, un élève de 4e lecteur, manifeste un petit rejet, s’exclame dès que possible sur tout et n’importe quoi, mais demande en réalité une attention particulière d’entrée de jeu. Il décide après discussion de parler de Titeuf, le personnage de BD, qu’il décrit très brièvement par des phrases courtes utilisant souvent le verbe « être »: « Titeuf est un enfant », « Il fait des bêtises », « Il est bête » etc. Toujours en attente de dialogue, ça n’est qu’en creusant avec lui qu’il sera possible d’obtenir des détails sur le personnage, ses différences avec l’élève, la raison du choix du sujet. Le texte étant en court de rédaction, il est encore difficile d’en déceler la part d’affect dissimulée par l’élève et la grande idée qui motive cette communication, mais celui-ci a en tout cas manifesté par la suite plus d’intérêt pour l’exercice, et commencé à regarder ce que les autres avaient bien pu avoir envie de présenter. Alors qu’il prétendait se moquer de l’image que pourrait renvoyer un texte bâclé auprès de la classe, nous avons très vite observé que cette dimension collective s’avérait être plus importante qu’annoncé de part ses déplacements en direction d’autres tables.
Pour Dambou, un élève de 5e conservant encore pas mal de difficultés avec l’écrit, c’est le rappeur Booba qui se fera faire le portrait. Ce chanteur très populaire représente probablement pour ce premier essai un gage de sécurité vis à vis de l’accueil futur de l’expression de l’élève. Qui pourrait bien se moquer d’un tel sujet? Comme pour Junior, les débuts sont timides: « il chante trop bien », « j’aime bien ses chansons »… Dambou a de plus beaucoup d’hésitation à coucher les mots sur le papier en raison de lacunes en orthographe. Après une phase orale, c’est l’explicitation du choix du sujet qui révèle le véritable objet de ce texte: nous apprendre que Bouba parle la même langue que l’élève, à savoir le soninké, bien que Dambou soit Mauritanien et Booba d’origine Sénéglaise par son père. Pour écrire correctement le nom de cette langue, c’est l’aide du voisin de table qui aura été déterminante. L’occasion se présente donc de jeter un œil dans un Atlas pour afin de situer ce sujet mais aussi de remédier à mon ignorance de la géographie de cette zone. Après un passage et une explication rapide sur le sommaire (ah oui c’est vrai je suis prof doc 😉 ), nous voyons que la Mauritanie est classée dans le chapitre « Afrique de l’Ouest ». « C’est quoi ça déjà? ». Voyons-donc rapidement les points cardinaux. Junior, qui passait par là, nous aidera également à retrouver le nom de ces quatre points cardinaux. Il faudra ensuite comprendre la légende afin de trouver son village (lequel est proche de celui dans lequel le chanteur se rend depuis son enfance), et se repérer sur cette carte finalement trop imprécise. Sera-ce une piste de recherche possible par la suite? Ou peut-être Dambou préférera t-il parler du soninké? Des anecdotes récoltées en Mauritanie et qu’il affirme pouvoir nous livrer sur le chanteur?
Pour chaque élève suivi, il a rapidement été nécessaire de préciser l’orthographe de certains mots. À chaque fois, une feuille leur aura été donnée et regroupant la liste de ces mots ou phrases afin de constituer une première base de donnée personnelle articulée autour des besoins d’expression de chacun. Nous comptons sur cette relation particulière de l’élève à ces mots, et dans un premier temps sur la mémoire photographique pour augmenter le bagage linguistique de chacun. Lors des présentations, nous pourront faire de même mais avec le groupe-classe.
La suite au prochain épisode…