Au collège, la notation reste encore l’alpha et l’oméga de l’évaluation. Pour la justifier, beaucoup considèrent qu’elle garantit une égalité de traitement, voire même l’anonymat lorsque les copies sont sous pli. Face au barème préparé consciencieusement par l’enseignant, chacun aurait les mêmes chances, si tant est qu’on ait révisé avant de se pointer au contrôle.
Qui peut réellement croire à ça?
La notation pose pourtant un certain nombre de problèmes qui peuvent avoir des conséquences graves sur le travail et la motivation de l’élève. Outre le fait qu’elle renforce le sentiment de concurrence que l’école instaure entre les apprenants (un héritage des écoles jésuites tout comme la note), elle perpétue la méthode de la carotte et du bâton. C’est le traditionnel « si tu travailles bien tu aura une bonne note ». Dans une perspective quasi sociale (osons le dire), la note est même quelquefois comparée au salaire. Et comme tout travail mérite salaire (au mérite), et que le principe de l’égalité salariale ne peut être qu’élucubrations gauchistes, voilà notre classement justifié par les lois de la nature et de la justice.
Chez d’autres (minoritaires je l’espère!), il faudra bien avouer que c’est quand même moins compliqué à mettre en place (une même loi pour tous, nécessairement équitable), que de s’emmerder à prendre en compte les points de départ et les progressions individuelles, les efforts ressentis inégalement etc. « S’ils ont raté c’est qu’ils ne devaient pas avoir bossé suffisamment, c’est qu’ils n’étaient pas motivés peut-être… »
Rarement nous disons (avouons?) que cette fois le problème venait de notre côté…
Une constante: l’arbitraire
L’expression « constante macabre » a été énoncée pour la première fois par le chercheur en sciences de l’éducation André Antibi en 1988. Il s’explique:
« Par « Constante macabre », j’entends qu’inconsciemment les enseignants s’arrangent toujours, sous la pression de la société, pour mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Ce pourcentage est la constante macabre » (source)
En préparant nos contrôles, nous ferions donc inconsciemment et préventivement en sorte que les notes soient bien étalées (des bonnes, moyennes, et des mauvaises). Elle pourront varier en fonction de la nature des exercices envisagés par rapport à ce qui a été vu en cours, et au temps imparti pour les réaliser. Penser à des exercices bonus pour les plus rapides (et donc souvent les plus « forts »), en ajouter qui posent l’élève en situation de difficulté (pour voir comment il réagit et s’approprie les notions); tout cela permet un écrémage rapide des candidats à la bonne note.
1+1=2: Faux!
Ce qu’il y a d’intéressant avec André Antibi c’est que c’est un matheux. Au cours de ses nombreuses expériences avec des enseignants de cette discipline, il s’est rendu compte de faits surprenants. Il a observé non seulement que la constante macabre se reproduisait, même entre profs; mais en plus que certains d’entre eux ne se donnaient même pas la note maximale en corrigeant la réponse qu’ils avaient eux-mêmes donnée à un exercice de leur propre cru! oO
De quoi donner du grain à moudre à celles et ceux qui pensaient que les maths pouvaient échapper à ce problème…
Dans ce type de cas, l’un des leviers qui servira à baisser les notes selon l’auteur, c’est la démonstration. Même lorsque l’élève donne une bonne réponse, il pourra perdre de nombreux points en raison de son argumentation et de la forme de celle-ci.
Ainsi, l’angoisse de la moyenne trop élevée (par peur du regard des collègues, des parents, de l’institution etc.), et quelques fois une morale ouvertement inégalitaire, révèlent pour Antibi la mission de sélection (et non de formation) de l’école que nous forgeons.
À la lumière de ces exemples de dérives, ne pourrait-on pas envisager d’autres modes d’évaluation, limitant les effets pervers de la notation? Sans doute, il nous faudra également intervenir au plus profond de la culture scolaire pour contenir les tendances à la sélection et au classement que nous reproduisons.
Pour aller plus loin sur la note et son ses origines, vous pourrez lire le très bon article de Grégory Chambat pour N’autre école: Une histoire de la note… et de sa contestation.