Cet excellent livre de Gaëtan Le Porho est sous-titré: L’investissement pédagogique de la Fédération Unitaire de l’Enseignement (FUE). Issu d’un travail de mémoire, ce livre nous renvoie aux années d’après-guerre (14-18) et nous plonge dans les dernières grandes années du syndicalisme révolutionnaire français.
Qui sait que de sa création à la première guerre, la CGT était révolutionnaire? Qu’elle déniait aux partis le monopole de l’action visant au changement de société? En réalité, le modèle de syndicalisme développé à partir de la fin du XIXe siècle en France reste encore vivace et constitue ce que l’on appelle plus pudiquement aujourd’hui le syndicalisme de lutte. La grève, l’action directe, l’occupation, le sabotage etc. sont autant de pratiques issues de cette époque où le syndicat refusait d’être le vassal du parti ou un outil de négociation entérinant les conquêtes patronales.
De cet esprit de l’époque nous reste encore la devise de la vieille AIT: « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Mais que cela voulait-il dire dans l’éducation?
La CGT-U (pour Unitaire) était une scission de la CGT opérée après la guerre en réaction à la montée du réformisme dans l’organisation. Les syndicalistes révolutionnaires toujours présents avaient perdu beaucoup d’influence face à un parti communiste naissant et inféodé à Moscou. Pourtant, dans la FUE, ils restaient bien présents et les communistes étaient majoritairement critiques vis à vis des positions du Parti.
C’est dans ce contexte que continue de se développer le journal L’École Émancipée, que se côtoient ou se croisent des militants de l’Éducation Nouvelle, des Freinet, des Simone Weil, des Wallon etc. Dans la presse militante, On se réfère à Ferrière, Decroly, Montessori, aux premières expériences soviétiques…
On comprend mieux aussi les divergences politiques importantes qui séparent l’action pacifiste et optimiste du l’Éducation Nouvelle, à celles des syndicalistes convaincus de la nécessité d’une action révolutionnaire et non seulement pédagogique. Ce livre nous fait ainsi découvrir des personnalités peu connues aujourd’hui et davantage liées à la FUE mais qui ont eu une grande importance: le couple Bouët, Maurice Dommanget, Jeanne Balanche etc.
Dans l’École Émancipée, la Fédération développe une conception de l’action directe toute particulière, mettant au premier plan la réflexion pédagogique dans une optique qu’on pourrait rapprocher de celle de Fernand Pelloutier: apporter à l’ouvrier « la science de son malheur ».
Mais qu’il n’y ait pas méprise, si la FUE se place sans ambiguïté sur le plan de la lutte révolutionnaire, l’endoctrinement y est proscrit. Mis à part pour une minorité communiste pro-bolchevique (qui prendra de l’importance par la suite), la majorité des syndicalistes se donnent pour objectif de libérer l’individu de l’école abrutissante, de l’École « chauviniste » qui a préparé les hommes à la boucherie de 14-18, celle de la propagande capitaliste, religieuse et colonialiste.
Face à cela, il s’agit de développer une « école rationnelle », la critique des manuels, l’expression libre, le travail de groupe, les sorties éducatives, la co-éducation (mixité), les sciences expérimentales etc.
Freinet – dont l’incompréhensible et paradoxale appartenance à la tendance la plus orthodoxe et autoritaire des communistes interroge – gagne petit à petit sa popularité dans les colonnes de l’École Émancipée. Sa technique de l’imprimerie à l’École s’exporte et se discute, mais la CEL (Coopérative de l’Enseignement Laïc) finit par prendre son autonomie suite à des conflits internes.
À l’arrivée du Front Populaire, le PC dont les méthodes ont terminé de marginaliser les syndicalistes révolutionnaires, les anarchistes, les non-orthodoxes, décrète la réunification de la CGT.
La Deuxième Guerre Mondiale approche, les éducateurs ont échoué, une nouvelle purge ouvrière se prépare…